Médiation en entreprise : résoudre un conflit managérial grâce au TKI

14 décembre 2025 | Écrit par Sébastien Robineau | Temps de lecture : 10 minutes

En bref
Dans une entreprise industrielle, un conflit entre deux chefs de service issus d’une fusion interne menaçait la performance et la stabilité des équipes.

À travers un cas réel de médiation, cet article montre comment le TKI (Thomas-Kilmann Conflict Mode Instrument) permet d’identifier les modes de gestion du conflit, de sortir du rapport de force et de restaurer une coopération durable entre managers. Un retour d’expérience concret sur la médiation en entreprise, utile aux dirigeants, DRH et managers confrontés aux conflits organisationnels.

Sommaire

  1. Un conflit, une médiation

  2. Le frein à la médiation : la peur de perdre la face

  3. Le déroulement de la médiation : de l’individuel au collectif

  4. Les enseignements de cette médiation

  5. Conclusion


Un conflit, une médiation

Il y a quelques mois, j’ai été sollicité par une entreprise industrielle. Le directeur général, pourtant peu enclin aux démarches de médiation (« je ne suis pas convaincu par la démarche, mais bon…. »), m’a contacté avec une phrase lourde de sens :

« Nous allons perdre deux managers clés si rien n’est fait. Et je crains que toute la chaîne opérationnelle ne s’effondre avec eux. »

Le département concerné regroupait deux entités jusqu’alors distinctes : la production et la logistique.

La direction a décidé de fusionner les entités juridiques dans un objectif de fluidité, d’optimisation des délais et de réduction des coûts.

Sur le papier, tout tenait. Dans les faits, c’était un champ de mines.

Deux chefs de service se sont alors retrouvés en co-responsabilité opérationnelle :

  • Claire, cheffe de la production, ingénieure de 42 ans, rigoureuse, organisée, attachée à la planification et à la qualité.

  • Rachid, manager logistique de 45 ans, opérationnel, pragmatique, habitué à gérer l’urgence et les imprévus.

Tous deux excellents. Tous deux légitimes. Tous deux… complètement incompatibles dans leurs modes de fonctionnement.

Le conflit a éclaté progressivement :

  • divergence sur les priorités,

  • tensions en réunion,

  • mails envoyés en copie large à la direction,

  • décisions contradictoires,

  • plaintes des équipes,

  • retards accumulés.

Au bout de six semaines, le directeur général n’en pouvait plus. Un matin, il a découvert que Claire refusait un ordre transmis aux équipes, par Rachid. Rachid, furieux, a menacé de quitter l’entreprise si « cette injustice » continuait. La direction des opérations commençait à douter de leur capacité à co-manager. Au passage, si j’avais été interrogé en amont, j’aurais déconseillé un co-management…

Bref, un conflit classique de gouvernance opérationnelle, mais pouvant devenir fatal pour la performance globale.

C’est dans ce contexte que je suis intervenu.

Dans ce dossier, la cause profonde du conflit reposair sur des interprétations et des besoins professionnels antagonistes.

Pour Claire, le monde doit être prévisible :

  • un planning,

  • des process,

  • des règles,

  • des décisions mûries.

Elle supporte mal l’improvisation, qu’elle perçoit comme un manque de professionnalisme. Elle considère que Rachid « court-circuite » en permanence les processus qualité.

Pour Rachid, le monde doit être réactif :

  • ajustement rapide,

  • adaptation,

  • décision immédiate… parce que la logistique n’attend jamais.

Il vit le formalisme de Claire comme une perte de temps, voire comme du mépris pour son expertise terrain.

Résultat :

  • Claire interprète Rachid comme impulsif et désorganisé.

  • Rachid interprète Claire comme rigide et autoritaire.

Deux excellents professionnels, mais deux visions non articulées.

Le frein à la médiation : la peur de perdre la face

Lors de mon premier échange avec Claire, elle s’est montrée ouverte immédiatement. Rachid, lui, a refusé net. C’est fou, c’est souvent comme ça : les femmes acceptent le processus de la médiation quand les hommes sont plus rétifs.

Le frein de Rachid était clair : la peur de perdre la face.

Il m’a dit lors de ce premier échange informel :

« Je n’ai pas besoin qu’on me dise comment travailler. J’ai toujours géré mes équipes sans problème. Si quelqu’un doit changer ici, ce n’est pas moi. »

Derrière cette phrase, se cachent :

  • la peur d’être jugé,

  • la peur qu’un tiers prenne parti (c’est mal connaître le rôle du médiateur),

  • la peur d’être considéré comme fautif,

  • la peur de perdre son autorité.

J’ai donc repositionné la médiation non comme un outil correctif, mais comme un levier de performance collective. C’est ce changement de perspective qui a ouvert la porte.

Le déroulement de la médiation : de l’individuel au collectif

La médiation a commencé par des entretiens individuels de 90 minutes chacun.

L’entretien avec Claire

Elle a d’abord parlé de ses équipes :

« Elles ne savent plus à qui elles doivent répondre. »

Elle a progressivement glissé sur son vécu personnel :

« Quand il modifie un planning sans me prévenir, j’ai l’impression qu’il sape mon travail. »

Son besoin profond est apparu clairement : stabilité et reconnaissance de son expertise structurante.

L’entretien avec Rachid

En dépit de notre échange informel qui l’avait convaincu d’entrer en médiation, Rachid est arrivé tendu et nerveux.

Il a rapidement exprimé un sentiment d’injustice :

« On me reproche juste de faire en sorte que les livraisons partent à l’heure. »

Il craignait que sa liberté d’action soit bridée.

Son besoin fondamental était l’autonomie dans la prise de décision rapide.

À ce stade, il était devenu évident qu’aucune solution ne pouvait émerger sans un outil permettant de décrypter les modes de gestion du conflit. J’ai alors choisi d’utiliser le TKI en plénière.

La séance plénière

Fidèle au processus de la médiation, j’ai ouvert un temps de parole à chacun, en visio car Claire et Rachid étaient sur deux sites distincts et moi à mon bureau.

Je les ai laissé parler, chacun leur tour, de leur compréhension de la situation (cette première phase est celle du « quoi »). La tension était palpable, mais c’est logique.

Le jeu de mes questions les a conduits à s’interroger sur la perception par l’autre de sa représentation de cette compréhension de la situation (cette deuxième phase est celle du « pourquoi »).

En principe, il doit s’opérer au cours de cette deuxième phase une catharsis des émotions, point de transition dans le cadre duquel chacun saisit l’émotion de l’autre et analyse la situation à travers ce prisme nouveau. Les participants à la médiation prennent conscience de leur vécu émotionnel et de la réalité de l’autre. C’est vraiment bluffant !

Pour provoquer cette catharsis, véritable point de bascule d’une médiation, je leur ai présenté le modèle TKI.

Le Thomas-Kilmann Conflict Mode Instrument identifie cinq modes de gérer un conflit :

  1. Compétition

  2. Accommodation

  3. Évitement

  4. Compromis

  5. Collaboration

Je leur ai expliqué que chacun possède un mode dominant, surtout sous stress. Après leur avoir exposé le détail de chacun  des 5 modes, je leur ai suggéré ma compréhension de leur mode dominant :

  • Claire se situe majoritairement en Compétition.

  • Rachid oscille entre Compétition et Évitement.

Cette lecture a provoqué une prise de conscience immédiate : le conflit n’était pas personnel, il était structurel.

Je leur ai, ensuite, proposé un exercice en trois étapes.

  • Étape 1 : identifier les déclencheurs de stress

    Pour Claire : la modification des plannings sans validation.

    Pour Rachid : l’impossibilité d’agir vite en situation d’urgence.

  • Étape 2 : confronter les interprétations

    Claire a pris la parole : « Quand tu modifies un planning, je me sens décrédibilisée. »

Rachid a expliqué à son tour : « Quand tu refuses une décision rapide, je me sens bloqué. »

Pour la première fois, chacun s’était senti compris sans être jugé.

  • Étape 3 : co-construire des règles de fonctionnement

Ils ont définit ensemble :

  • les situations relevant du mode Collaboration,

  • celles du Compromis,

  • celles où l’un peut décider seul.

Un cadre clair a émergé ! Et surtout, je les ai observés échanger et co-construire ce cadre. Mission réussie !

Les enseignements de cette médiation

Cinq enseignements majeurs sont à retenir de cette médiation :

  • Le conflit révèle des modes de fonctionnement, pas des défauts personnels.

  • Le TKI permet de dépersonnaliser les tensions.

  • La collaboration est un choix conscient, pas un réflexe.

  • Clarifier les règles évite l’escalade émotionnelle.

  • La médiation rend le conflit gérable, pas inexistant.

Si je devais conclure…

Ce dossier m’a rappelé que la performance d’une organisation dépend moins des compétences que de la capacité à comprendre comment chacun entre en conflit.

Le TKI a offert un langage commun. La médiation a fourni un cadre. Et l’entreprise a retrouvé un fonctionnement opérationnel.

Parfois, éviter l’implosion ne demande pas plus d’autorité, mais plus de lucidité.

Si vous êtes confronté(e) à un conflit, ne laissez pas la tension s’installer.

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