Conflit en cabinet d’avocats : quand une assistante fait vaciller toute l’équipe

7 décembre 2025 | Écrit par Sébastien Robineau | Temps de lecture : 10 minutes

En bref
Dans ce cabinet d’avocats parisien, un simple conflit de personnalité entre une assistante et un collaborateur a failli provoquer une série de départs en chaîne. L’associé unique, débordé et inquiet pour la survie de son cabinet, s’est tourné vers la médiation.

Dans cet article, je raconte comment le processus de médiation conventionnelle a permis de désamorcer les tensions, de sécuriser l’équipe et de préserver le modèle économique du cabinet.

Sommaire

  1. Un conflit, une médiation

  2. Le frein à la médiation : le coût des honoraires

  3. Le déroulement de la médiation : de l’individuel au collectif

  4. Les enseignements de cette médiation

  5. Conclusion


Un conflit, une médiation

Il y a quelques mois, j’ai été contacté par un avocat parisien, Olivier, spécialisé en droit social. Son message, reçu via LinkedIn, se concluait par ces mots :

Je suis complètement perdu et je me sens impuissant.

Ce n’est pas une phrase que l’on lit souvent de la part d’un avocat associé, à la tête d’un cabinet reconnu, épaulé par cinq avocats collaborateurs, une office manager et une assistante. Mais cette phrase-là, elle disait tout : un malaise diffus, une inquiétude profonde et surtout l’instinct de préserver ce qu’il avait construit en quatre ans à peine.

Le cabinet fonctionnait selon une approche presque rare dans le monde feutré des cabinets d’avocats d’affaires : le respect intégral du statut libéral.

Pour Olivier, ses collaborateurs sont des professionnels indépendants, libres d’organiser leur présence, leur rythme, leur méthode. Ce qu’il demande, il le dit clairement :

L’essentiel est que le travail que je leur confie soit traité avec le professionnalisme que j’attends de moi-même.

Cette approche, inspirante pour certains, déstabilisante pour d’autres, avait façonné un cabinet à l’équilibre subtil.

Un équilibre qui avait volé en éclats pour une raison inattendue : la personnalité expressive et ludique de la nouvelle assistante du cabinet, Yasmine.

Yasmine avait été recrutée récemment, en remplacement de la première assistante engagée par le cabinet.

Cinquante ans, pleine de vivacité et de créativité, elle apportait une couleur différente au cabinet : elle plaisantait volontiers, dynamisait les échanges, proposait des idées originales et elle savait alléger les tensions de manière spontanée. 

Une assistante avec une forte présence. Parfois trop forte, pour certains.

L’un des collaborateurs, Anthony, avocat mid-level, travaillait avec Olivier depuis sa prestation de serment. Un jeune homme discret, réservé, passionné par le droit, doté d’une sensibilité très particulière qu’Olivier lui-même décrit comme “probablement Asperger”, évoquant son besoin de solitude, son ton monocorde, son absence totale d’expression émotionnelle.

Entre ces deux personnalités opposées, la cohabitation professionnelle avait été explosive. Pour Anthony, Yasmine était trop expressive, trop spontanée, pas assez “distinguée” pour l’image du cabinet. Il supportait de moins en moins ses réactions “vives sur l’instant”, comme il disait. Jusqu’au jour où il a tranché. Il a présenté sa démission. 

Et c’est là que tout avait basculé.

Car l’annonce de son départ avait libéré la parole des autres membres du cabinet : non seulement certains partageaient ses critiques, mais d’autres départs étaient à craindre. Olivier avait compris qu’il risquait un effet domino : un collaborateur mid-level qui part, puis un autre, puis un senior… et c’était tout le modèle économique du cabinet qui s’effondrait.

Le conflit n’était plus entre deux personnes. Il menaçait la survie même du cabinet.

Le frein à la médiation : le coût des honoraires

Quand Olivier m’a contacté, sa demande était claire :

Je souhaite une médiation entre Anthony et Yasmine.

C’est un réflexe courant, presque logique : si deux personnes se heurtent, on les réunit, et on “travaille la relation”. Et puis, on ne va pas se mentir, moins il y a de personnes impliquées dans le processus et moins les honoraires du médiateur seront élevés…

Mais dans ce dossier, ce n’était pas suffisant. Je l’avais senti dès les premiers échanges : le conflit n’était que le symptôme. La véritable difficulté résidait dans la dynamique collective, dans la manière dont l’équipe vivait l’arrivée de Yasmine et dans les perceptions divergentes de chacun quant à ce qu’était “le professionnalisme” au sein du cabinet.

Le frein à la médiation était donc la volonté initiale de limiter le périmètre. Mais une médiation partielle aurait été… de la poudre aux yeux. Et un coup supplémentaire porté à la confiance interne.

J’ai donc posé mon cadre :

Je n’accepterai la mission que si je peux entendre tout le cabinet, individuellement. Ce conflit n’est pas duel. Il est systémique.

Olivier a accepté mon cadre, parce que, au fond, il savait que tout tenait à un fil.

Le déroulement de la médiation : de l’individuel au collectif

Sur dix jours ouvrés, j’ai rencontré l’ensemble du cabinet :

  • les cinq avocats collaborateurs,

  • l’office manager,

  • Yasmine,

  • et, bien sûr, Olivier.

Chaque entretien a duré entre 45 minutes et 1h15.

Et chaque fois, je me suis retrouvé face à une mosaïque fine et complexe de ressentis.

1. Les collaborateurs seniors

Ils parlaient avec retenue, pesant leurs mots :

Yasmine est sympathique, mais parfois… envahissante.
Son ton est familier, cela surprend certains clients.
Elle ne perçoit pas toujours l’urgence des tâches.

2. Les mid-levels

Ils ont été plus directs :

On ne sait jamais comment elle va réagir.
Elle est créative, oui, mais pas toujours cadrée.

3. L’office manager

Elle avait apporté une vision plus globale :

Elle est très attachante, mais elle ne voit pas toujours les codes invisibles du cabinet. Elle ne capte pas les limites… ou les perçoit trop tard.

4. Yasmine

Émotive, spontanée, elle s’était exprimée avec franchise :

Je ne comprends pas ce qu’on me reproche. Je fais tout pour aider. Je suis motivée. Je veux bien faire. Mais j’ai l’impression d’être jugée à chaque sourire.

5. Anthony

Sobre, factuel, presque chirurgical :

Je ne peux pas travailler dans un environnement bruyant, instable, imprévisible. Ses réactions me perturbent. Je ne peux pas me concentrer. Puisqu’elle est protégée par Olivier, je préfère partir. Le marché des collaborateurs me le permet, il n’y a pas à hésiter.

6. Olivier

Il était fatigué. Lucide et affecté, il a lâché dans un soupir :

Je suis responsable de tout cela. Je veux que tout le monde puisse travailler ensemble. Je pensais bien faire. Je suis dépassé.

Evidemment, pendant ces entretiens individuels, j’avais pris le soin de poser les jalons de l’appreciative inquiry, convaincu que cette approche éviterait le naufrage du cabinet. J’y reviendrai.

7. La réunion plénière

Le lundi suivant, à 14h, tout le cabinet était réuni dans une salle de réunion. Je savais que cette séance serait longue. Je leur avais demandé de me réserver leur après-midi. La réunion a duré 5h30. Une intensité rare.

J’avais choisi l’appreciative inquiry comme outil central. C’est une méthode qui valorise les forces, les réussites, plutôt que d’autopsier les failles.

Pourquoi ce choix ? Parce que dans un cabinet d’avocats, l’analyse du problème est souvent… trop performante. Les mots peuvent vite devenir des armes. Ici, je voulais créer un espace de sécurité relationnelle, pas un tribunal.

Fidèle au processus de la médiation, j’ai laissé à chacun le soin, à tour de rôle et dans l’ordre de leur choix, d’exprimer le “quoi” et le “pourquoi” de notre présence en réunion. Et sans rien dire sur le processus, j’ai déroulé mes questions dans le respect des 4 phases de l’appreciative inquiry.

1. Phase Discovery – Ce qui fonctionnait avant

Je leur ai demandé :

Qu’est-ce qui faisait votre force, avant que la tension n’apparaisse ?

Les réponses ont afflué :

  • la solidarité entre collaborateurs,

  • la liberté d’organisation,

  • la confiance d’Olivier,

  • la fierté d’un cabinet jeune et dynamique.

Ensemble, ils se sont souvenus de leur ADN collectif.

2. Phase Dream – Comment voudriez-vous travailler ensemble ?

Les mots avaient changé de couleur :

  • fluidité,

  • respect des singularités,

  • cadre clair,

  • ambiance sereine,

  • professionnalisme partagé.

Peu à peu, les oppositions ont laissé place à des aspirations communes. Je savais que la catharsis allait opérer…

3. Phase Design – Co-construire des solutions concrètes

Un consensus a émergé autour de trois axes :

a. Clarifier le rôle de chacun

Notamment celui de Yasmine :

  • ce qu’elle pouvait prendre en charge,

  • ce qu’elle ne devait pas gérer,

  • comment s’articuler avec les collaborateurs.

b. Définir un cadre de communication interne

  • limiter les interventions spontanées pendant les moments de concentration ;

  • créer des “zones tampons” (temps dédiés aux questions, aux ajustements) ;

  • expliciter les attentes en termes de ton, de posture, de relation client.

c. Mettre en place un rituel d’équipe mensuel

Un espace pour ajuster les pratiques… avant que les tensions n’explosent.

4. Phase Destiny – Engagements

Chaque participant avait formulé un engagement bref, clair, personnel.

Le plus marquant avait été celui d’Anthony :

Je suis prêt à rester si le cadre évolue. Je veux y croire.

Un frémissement avait traversé l’équipe. Sérieusement. Ce qui se passe en médiation est hors-sol et hors du temps. Bref, le cabinet venait d’éviter le pire.

Dans les semaines qui ont suivi, les engagements ont été tenus :

  • Anthony est resté ;

  • Yasmine avait ajusté sa communication tout en conservant sa créativité ;

  • les collaborateurs s’étaient sentis entendus ;

  • Olivier avait retrouvé sa place de leader serein.

Le cabinet n’avait pas seulement évité l’implosion : il avait trouvé une nouvelle maturité.

Les enseignements de cette médiation

Cinq enseignements majeurs sont à retenir de cette médiation :

  • Un conflit n’est jamais seulement entre deux personnes : il révèle toujours une dynamique collective.

  • L’appreciative inquiry transforme le dialogue en déplaçant l’attention vers ce qui unit plutôt que vers ce qui sépare.

  • Écouter tout le système est essentiel : intervenir seulement sur deux protagonistes aurait aggravé le problème.

  • Les personnalités atypiques ne sont pas incompatibles : elles nécessitent un cadre clair et partagé.

  • Un cabinet d’avocats peut être fragile : un départ peut tout déséquilibrer. L’anticipation relationnelle est un outil stratégique.

Si je devais conclure…

Cette médiation m’a rappelé une vérité simple : les conflits explosent quand les besoins ne sont plus exprimés.

En réintroduisant un cadre, de la reconnaissance et une vision partagée, ce cabinet a non seulement évité la rupture, mais il a retrouvé une énergie collective nouvelle.

Et parfois, c’est cela, le plus beau rôle de la médiation : réparer ce que personne n’avait osé dire.

Si vous êtes confronté(e) à un conflit, ne laissez pas la tension s’installer.

👉 Je vous propose d’en parler ensemble, en toute confidentialité. Prenez rendez-vous.

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