Rupture brutale d’un contrat : comment la médiation régule un conflit commercial

30 novembre 2025 | Écrit par Sébastien Robineau | Temps de lecture : 10 minutes

En bref
Quand une relation commerciale de longue durée est rompue avec un préavis trop court, le droit français peut qualifier la situation de rupture brutale : l’entreprise à l’origine de la rupture risque une condamnation sur la marge brute correspondant au préavis manquant.

La médiation permet d’éviter un contentieux long et coûteux : elle offre aux parties un espace pour reconnaître l’impact humain, clarifier les enjeux juridiques et construire un accord sur mesure (indemnisation, maintien temporaire du contrat, mesures d’accompagnement…).

Sommaire

  1. Un conflit, une médiation

  2. Le frein à la médiation : la colère et la peur

  3. Le déroulement de la médiation : de l’individuel au collectif

  4. Les enseignement de cette médiation

  5. Conclusion


Un conflit, une médiation

En octobre dernier, j’ai été sollicité par une association médico-sociale d’envergure, gestionnaire de plusieurs dispositifs d’insertion, dont des ESAT.

L’association venait de recruter un nouveau directeur de pôle, chargé de redresser des structures devenues déficitaires au fil du temps.

À son arrivée, la situation financière était fragile : charges trop élevées, faible mutualisation, manque de vision stratégique. C’est dans ce contexte qu’il avait engagé une réorganisation ambitieuse visant à réduire les coûts et à développer de nouvelles prestations internes, notamment une activité de nettoyage industriel confiée à des travailleurs en situation de handicap.

Dans sa boîte à idées, l’une d’entre elles semblait prometteuse :

  1. mettre fin au contrat d’entretien des locaux, en place depuis 12 ans auprès d’un prestataire historique,

  2. respecter la clause contractuelle prévoyant un préavis d’un mois,

  3. et internaliser immédiatement l’activité au sein du pôle, en mobilisant les travailleurs de l’un des ESAT.

Sur le plan financier, son raisonnement se tenait : 6 000 € HT par mois économisés, plus une nouvelle offre d’activité pour les travailleurs handicapés.

Mais sur le plan humain — et sur le plan juridique — cette décision avait eu des effets dramatiques.

Le prestataire, une petite entreprise locale, s’était retrouvé en situation critique :

  • licenciements à envisager,

  • perte d’un marché structurant,

  • risque imminent de dépôt de bilan.

Et, selon le droit français, résilier après 12 ans de relation avec seulement 1 mois de préavis constituait très vraisemblablement une rupture brutale au sens de la loi.

C’est à ce moment que le DAF de l’association m’a appelé, conscient qu’un contentieux serait destructeur pour tout le monde.

Dès ma première analyse, j’ai constaté que, même si le directeur de pôle avait respecté le contrat écrit, la situation posait un problème majeur au regard des règles applicables.

J’ai découvert que le prestataire intervenait depuis plus d’une décennie, de manière continue, avec une dépendance économique réelle.

Cette durée constituait un critère essentiel dans l’appréciation d’un préavis suffisant.

Le droit français conduit à respecter un préavis plus long, d’une grosse dizaine de mois environ, et ce, indépendamment de la durée contractuelle du préavis…

Alors certes, le directeur de pôle avait donc respecté la lettre du contrat… mais pas l’esprit du droit.

En cas de contentieux, l’association risquait d’être condamnée à indemniser la marge brute correspondant aux 11 mois manquants, déduction faite des charges variables.

La décision, rationnelle au départ, s’était révélée juridiquement risquée et humainement brutale.

Le frein à la médiation : la colère et la peur

Lorsque j’ai proposé une médiation, la réaction du prestataire avait été vive :

« Après douze ans, ils nous balancent un mois de préavis ! Je ne veux plus les voir, je veux aller au tribunal. »

Ce refus illustrait parfaitement un frein classique à la médiation :

  • la colère,

  • la blessure narcissique,

  • le sentiment d’injustice.

Du côté de la direction de l’association, le frein était différent mais tout aussi puissant :

« Ouvrir une médiation, n’est-ce pas reconnaître que nous avons commis une faute ? »

La direction craignait de perdre la face et redoutait d’affaiblir la légitimité du nouveau directeur.

Avant même de pouvoir réunir les parties, il me fallait désamorcer les émotions, avec un outil essentiel : l’écoute active.

Le déroulement de la médiation : de l’individuel au collectif

J’ai commencé par des entretiens séparés, indispensables pour comprendre les ressentis profonds.

Avec le prestataire

Il parlait vite, la voix tendue.

Je l’ai laissé dérouler son récit.

« J’ai dû annoncer des licenciements. Vous imaginez ? Douze ans ! Je croyais qu’on était partenaires. Il a tout coupé d’un trait. »

J’ai simplement reformulé :

« Vous avez l’impression qu’on a balayé douze ans de fidélité, sans considération, et cela met votre entreprise en danger. »

Il a respiré profondément.

Pour la première fois, il s’était senti entendu, pas jugé, pas contredit.

Avec le directeur de pôle

Il m’a accueilli avec une posture défensive :

« J’ai respecté le contrat. Je n’ai rien fait d’illégal. Et puis, j’ai une lettre de cadrage claire : on doit réduire les coûts. »

Je lui ai répondu calmement :

« Vous aviez besoin d’agir vite. Vous pensiez être dans le cadre contractuel. Mais vous réalisez maintenant que l’impact humain et économique est plus lourd que prévu. »

Il a baissé les yeux.

Le déni s’était fissuré.

L’écoute active permettait ce basculement.

Première séance plénière : dire les faits, dire les émotions

Lorsque j’ai réuni les deux parties, l’atmosphère était tendue. On peut le comprendre…

J’ai posé un cadre précis :

  1. parler à la première personne,

  2. reformuler l’autre avant de répondre,

  3. ne pas couper la parole,

  4. accepter le silence.

Le prestataire a parlé en premier :

« Je vais perdre trois salariés à temps partiel. Je suis au bord du dépôt de bilan. Je me suis senti trahi. »

J’ai repris à mon compte ses propos :

« Vous avez vécu cette rupture comme une trahison. Et vous avez eu peur pour la survie de votre entreprise. »

Cette reformulation avait été un moment-clé.

Elle a stimulé l’empathie du directeur de pôle, qui a ensuite pris la parole :

« Je pensais agir dans le cadre contractuel. Je n’avais pas anticipé l’impact. J’ai voulu aller vite. Trop vite. »

J’ai posé, calmement, en les regardant tous les deux :

« Vous n’avez pas voulu leur nuire. Vous avez voulu obtenir des résultats. »

Le conflit venait de basculer : chacun avait compris ce que l’autre avait vécu ou voulu.

Seconde séance plénière : négocier sans accuser

Lors de la deuxième séance, nous avions abordé ce que le droit aurait imposé :

  • 12 ans de relation,

  • 1 mois par année comme ordre de grandeur,

  • un préavis réellement exigible proche de 12 mois,

  • donc 11 mois manquants.

Je n’avais pas à donner de leçon de droit. Ce n’est pas mon rôle.

Mais j’ai rendu lisible l’enjeu :

« Un juge pourrait considérer que le préavis a été insuffisant. L’objectif ici est de trouver une solution moins violente pour chacun. »

Très vite, les discussions ont glissé vers :

  1. une compensation financière,

  2. un maintien temporaire partiel du marché,

  3. des mesures d’accompagnement social,

  4. une mise en place de règles de prévention pour l’avenir.

A l’issue de cette seconde séance plénière, les parties avaient construit un accord robuste :

  1. Indemnisation équivalente à 8 mois de marge brute, basée sur une estimation raisonnable du préavis manquant.

  2. Maintien pendant 4 mois d’un marché réduit, pour stabiliser les trois postes menacés.

  3. Accompagnement de l’association dans la professionnalisation de son activité interne de nettoyage, sans dénigrement du prestataire sortant.

  4. Création d’une charte d’achat responsable, imposant une analyse d’impact avant toute rupture future.

L’accord permettait au prestataire de survivre et à l’association d’assumer sa réorganisation sans exploser son budget.

Le directeur de pôle a conclu ces échanges en reconnaissant devant le prestataire :

« Sans la médiation, nous allions droit au contentieux. »

Le prestataire a ajouté :

« Et moi, au dépôt de bilan. »

Les enseignements de cette médiation

Cinq enseignements majeurs sont à retenir de cette médiation :

  • Respecter un contrat ne suffit pas : un préavis contractuel peut être juridiquement insuffisant.

  • La brutalité ne dépend pas de l’intention, mais de l’impact réel.

  • L’écoute active est un outil stratégique : elle permet à la parole blessée d’être entendue avant d’être négociée.

  • Les ruptures commerciales doivent être anticipées : humainement et juridiquement.

  • La médiation évite les catastrophes : économiques, réputationnelles, humaines.

Si je devais conclure…

Dans ce dossier, la clause contractuelle avait été respectée.

Mais la relation, elle, avait été blessée.

Et le droit, lui, imposait un préavis beaucoup plus long.

Grâce à la médiation — et surtout grâce à l’écoute active, qui avait permis d’entendre la souffrance de chacun — les parties avaient réussi à transformer :

  • une rupture brutale en rupture responsable,

  • un conflit explosif en accord durable,

  • une urgence budgétaire en opportunité d’évolution.

La médiation n’efface pas les erreurs.

Elle les rend réparables. C’est déjà pas si mal !

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