Micro-management : un conflit d’équipe traité par la médiation
2 novembre 2025 | Écrit par Sébastien Robineau | Temps de lecture : 10 minutes
Sommaire
Un conflit, une médiation
Le frein à la médiation : le deni du problème !
Le déroulement de la médiation : de l’individuel au collectif
L’outil utilisé dans cette médiation : TKI
Les enseignement de cette médiation
Conclusion
Un conflit, une médiation
C’est une office manager d’un cabinet d’avocats lyonnais qui m’a contacté un matin.
Sa voix oscillait entre diplomatie et inquiétude :
“Trois des quatre associés m’ont demandé de vous appeler. Mais… je crois qu’ils n’ont pas tout à fait conscience du problème.”
Le cabinet en question est une belle structure d’avocats d’affaires : quatre associés, une douzaine de collaborateurs, une clientèle exigeante. Sur le papier, tout va bien.
Dans les faits, l’ambiance se délite. Les juniors parlent de partir. Les mid-levels s’isolent. Les réunions d’équipe sont devenues des séances d’autopsie de dossiers.
Et derrière ce malaise, un prénom revient : celui de Stéphane, associé fondateur, réputé brillant… et redouté.
Ce n’est pas une question de charge de travail.
Ni même de rythme.
Mais de contrôle.
Chaque note, chaque e-mail, chaque projet de conclusions passe sous l’œil scrutateur de Stéphane.
Il relit tout, commente tout, corrige tout.
Ses collaborateurs racontent :
“Il change une virgule et dit que ça change tout.”
”Il m’a fait reformuler un mail client trois fois.”
”On ne peut rien envoyer sans son feu vert.”
Dans son esprit, ce comportement est une marque d’exigence.
Il se justifie ainsi :
“On engage notre nom, notre responsabilité. On ne peut pas laisser passer la moindre erreur.”
Mais pour son équipe, cette rigueur s’est transformée en asphyxie.
Ses collaborateurs n’osent plus prendre d’initiative, ni même réfléchir librement.
Le conflit s’est cristallisé autour d’un départ : celui de Cécile, une collaboratrice senior, reconnue pour son sérieux, qui a claqué la porte sans que personne n’ait vu le coup venir. Dans un mail qu’elle a adressé à l’office manager, une phrase a marqué les esprits :
“Je pars retrouver le droit à l’erreur.” (sic)
Le frein à la médiation : le deni du problème !
Lorsque l’office manager a évoqué la médiation, les associés ont d’abord approuvé… avant de se raviser.
Stéphane a pris la parole :
“Une médiation ? Pour quoi faire ? Ce sont des gamins. Cette génération ne supporte pas qu’on leur demande de travailler sérieusement.”
Le frein à la médiation était évident : le déni du problème.
Petit détail croustillant : il refusait que ce soit moi qui intervienne… J’avais pris position sur le management toxique au sein des cabinets d’avocats, sur LinkedIn, et il craignait que je manque d’impartialité. C’est bien mal me connaître. L’office manager a insisté sur mon nom, expliquant que, justement, je serai plus à même de libérer la parole des collaborateurs.
En tout cas, dans l’esprit de Stéphane, le conflit n’existait pas. Il y avait simplement une différence de niveau d’exigence.
Et, selon lui, si certains collaborateurs partaient, c’était “le signe qu’ils n’étaient pas faits pour ce métier”.
Ce déni est fréquent chez les managers perfectionnistes : ils confondent contrôle et pilotage, maîtrise et soutien.
J’ai donc commencé par un entretien individuel avec Stéphane.
Mon objectif était de créer un espace où il puisse prendre confiance en moi et exprimer ses peurs, sans perdre la face.
Le déroulement de la médiation : de l’individuel au collectif
Derrière la façade de certitude, j’ai découvert un homme sous tension.
“Je dors mal. Chaque dossier me hante. Un courrier mal relu, et c’est la catastrophe. Vous savez, dans ce métier, la faute ne pardonne pas.”
Je lui ai demandé ce qu’il redoutait le plus.
“Qu’un collaborateur échappe à ma vigilance. Qu’il fasse une erreur et que tout retombe sur moi.”
Son besoin fondamental était le contrôle, comme barrière contre la peur de la faute.
Mais ce besoin, poussé à l’excès, était devenu destructeur.
J’ai ensuite reçu individuellement ses collaborateurs.
Leurs témoignages étaient unanimes :
“Il ne nous fait pas confiance.”
”On a l’impression d’être des stagiaires à vie.”
”On apprend à faire comme il veut, pas à penser.”
Le besoin collectif était limpide : retrouver de la confiance et de la responsabilité.
J’ai ensuite proposé une réunion plénière, avec Stéphane et ses collaborateurs.
Dès le début, le ton a été tendu.
Stéphane :
“Je veux bien qu’on parle, mais je ne tolérerai pas qu’on remette en cause mon exigence.”
Un collaborateur a osé répondre :
“On ne remet pas votre exigence en cause, Stéphane. On voudrait juste pouvoir respirer.”
Silence.
Puis l’associé, ironique :
“Respirer ? Ce n’est pas l’école maternelle ici.”
Le dialogue semblait impossible.
J’ai donc proposé de reformuler les besoins plutôt que les reproches :
Les collaborateurs avaient besoin de confiance et d’autonomie.
L’associé avait besoin de fiabilité et de sécurité juridique.
Nous sommes convenus d’une deuxième séance centrée sur les solutions concrètes.
L’outil utilisé dans cette médiation : TKI
Lors de cette séance, j’ai utilisé un outil qui permet de comprendre les postures dans les conflits : le Thomas-Kilmann Conflict Mode Instrument (TKI).
Cet outil identifie cinq façons de gérer les désaccords :
Compétition (imposer sa vision)
Accommodation (céder pour préserver la relation)
Évitement (fuir le conflit)
Compromis (faire un pas chacun)
Collaboration (chercher une solution gagnant-gagnant)
Je leur ai demandé d’identifier leur mode dominant. J’aurais pu leur proposer de répondre au questionnaire, qui permet d’identifier ce mode dominant. Mais l’ambiance n’était pas au jeu, le questionnaire était donc de trop. J’ai préféré me fier à leur intuition.
Stéphane a reconnu, non sans fierté, être “un compétiteur”.
Les collaborateurs, eux, oscillaient entre accommodation et évitement : ils cédaient ou se taisaient.
Nous avons travaillé à déplacer ces postures vers la collaboration :
“Comment garantir la qualité du travail sans étouffer la créativité ?”
Petit à petit, les idées ont émergé.
L’équipe a identifié trois axes concrets :
Mettre en place un double niveau de validation : Les projets importants continueraient d’être validés par Stéphane, mais les documents courants (courriers, mails simples, notes internes) seraient laissés à la main des collaborateurs.
Créer un “droit à l’erreur contrôlé” : Chaque collaborateur pourrait envoyer certaines pièces sans relecture préalable, à condition de tenir un registre d’auto-évaluation. Une erreur mineure ? On en discute. Une faute grave ? On analyse ensemble les causes sans sanction immédiate. Ça peut paraître infantilisant, mais ça rassurait Stéphane… C’est l’exemple même de ce qui peut ressortir d’une médiation : les participants déterminent ensemble ce qui est de nature à éteindre le conflit !
Organiser un rendez-vous mensuel d’équipe : échanger sur les pratiques, les retours clients, les réussites et les difficultés.
Ces mesures ont semblé dérisoires à Stéphane au début. Mais elles ont permis un changement culturel.
La première semaine a été hésitante.
Stéphane peinait à lâcher prise. Il relisait encore certains e-mails.
Mais peu à peu, les collaborateurs ont regagné son estime.
La seconde semaine, il a envoyé un message à son équipe :
”Pour la première fois depuis longtemps, je me suis senti serein en lisant vos conclusions. Bravo.”
C’était une petite phrase. Mais pour les collaborateurs, c’était un monde.
L’office manager m’a écrit :
“Le climat s’est apaisé. On voit le sourire revenir.”
Derrière ce travail sur les process, c’est un travail sur la reconnaissance qui s’est joué.
Je l’ai dit à Stéphane, en entretien de suivi :
“Le contrôle rassure, mais la reconnaissance sécurise bien davantage.”
Il a souri :
“J’ai compris. En voulant éviter les erreurs, j’ai fini par en créer une plus grande : celle de ne plus faire confiance.”
Les enseignements de cette médiation
Six enseignements majeurs sont à retenir de cette médiation :
Le micro-management part souvent d’une bonne intention.
Le perfectionnisme est rarement de la malveillance : c’est une peur du risque.Le contrôle excessif déresponsabilise.
À force de vouloir tout vérifier, on empêche l’autre d’apprendre et on éteint son engagement.Le “droit à l’erreur” n’est pas un luxe, mais un outil de performance.
Les équipes qui peuvent échouer apprennent plus vite et font moins d’erreurs graves.Le TKI aide à sortir du rapport de force.
Identifier sa posture dominante permet de la réguler et d’en adopter une plus adaptée.La confiance se construit par étapes.
Lâcher le contrôle ne veut pas dire renoncer à l’exigence : c’est déplacer le centre de gravité de la peur vers la responsabilité.La médiation permet de remettre du sens là où il n’y a plus de dialogue.
Dans ce cas précis, elle a redonné à chacun ce qu’il avait perdu : à l’associé, la sérénité ; aux collaborateurs, la liberté.
Si je devais conclure…
Ce conflit au sein du cabinet lyonnais illustre un dilemme fréquent dans les cabinets d’avocats : comment concilier la rigueur nécessaire à la profession et la confiance indispensable à la motivation ?
Le micro-management ne naît pas d’un excès d’autorité, mais d’un manque de sécurité intérieure.
À force de tout vouloir contrôler, l’associé perd ce qu’il voulait protéger : l’engagement de ses équipes, la qualité du travail, et parfois même la fidélité des talents.
La médiation n’a pas transformé Stéphane en manager participatif du jour au lendemain. Mais elle lui a permis de passer du réflexe de contrôle au réflexe de confiance.
Et c’est souvent à ce moment-là que les équipes respirent de nouveau.
Si vous êtes confronté(e) à un conflit, ne laissez pas la tension s’installer.
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Cet article est l’épisode #46 de la newsletter “Parlons conflit” diffusée gratuitement par email à ses abonnés tous les dimanches à midi. Chaque semaine, retrouvez Sébastien Robineau pour décrypter un conflit et découvrir comment en sortir. Pour recevoir le prochain numéro, abonnez-vous ici : abonnement
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