La médiation au secours du télétravail
26 octobre 2025 | Écrit par Sébastien Robineau | Temps de lecture : 10 minutes
Sommaire
Un conflit, une médiation
Le frein à la médiation : la peur de perdre la face !
Le déroulement de la médiation : de l’individuel au collectif
L’outil utilisé dans cette médiation : l’effet tiers
Les enseignement de cette médiation
Conclusion
Un conflit, une médiation
Au printemps dernier, une DRH d’un cabinet d’avocats d’affaires m’a appelé, à bout de patience.
Sa voix oscillait entre colère et lassitude :
“On ne les voit plus. Avant, ils étaient là tous les jours. Maintenant, ils débarquent deux jours par semaine. Et encore…”
Elle ne parlait pas de freelances extérieurs.
Elle parlait des avocats collaborateurs : jeunes, brillants, parfaitement intégrés avant la pandémie, désormais éparpillés à travers la France — dans le Sud-Ouest, la Drôme ou la Normandie.
Depuis le Covid, ils ont redéfini leur équilibre de vie.
Ils travaillent à distance, dans un cadre légal pourtant limpide : un avocat collaborateur n’est pas un salarié, mais un professionnel libéral.
Le cabinet est son client principal, pas son employeur.
Mais cette distinction juridique, évidente sur le papier, se brouille dans la pratique.
Les associés continuent à raisonner comme des managers.
Les collaborateurs, eux, se vivent comme des partenaires autonomes.
Et entre les deux ? Un fossé grandissant, fait de non-dits, de reproches implicites, et d’un malaise diffus.
Les associés se sentaient abandonnés, voire trahis. Les collaborateurs se sentaient infantilisés. Et la DRH, coincée entre les deux camps, ne savait plus comment rétablir le lien sans passer pour la “bonne élève” du télétravail ou la “gardienne du temple”.
Le frein à la médiation : la peur de perdre la face !
Lorsque je lui ai proposé une médiation, la DRH a d’abord hésité.
Son frein ? La peur de perdre la face.
“Vous comprenez, si je fais appel à un médiateur, les associés vont croire que j’ai échoué.”
C’est un frein fréquent, surtout chez les cadres dirigeants. La médiation est parfois perçue comme un aveu d’impuissance. Comme si demander l’intervention d’un tiers, c’était reconnaître qu’on n’a pas su gérer.
Je lui ai expliqué que faire appel à un médiateur, ce n’est pas renoncer à son autorité, c’est au contraire l’exercer autrement.
C’est créer un espace où les tensions peuvent s’exprimer sans exploser.
C’est refuser de rester dans l’implicite.
Je lui ai dit, simplement :
“L’effet tiers ne retire rien à votre rôle. Il l’amplifie. Vous gardez la main sur le fond, je m’occupe de la forme.”
Elle a accepté. Avec prudence d’abord, puis avec soulagement.
Le déroulement de la médiation : de l’individuel au collectif
Comme toujours, j’ai commencé par les entretiens individuels.
Ils permettent d’entendre les frustrations avant qu’elles ne se cristallisent.
Les collaborateurs ont parlé de liberté, de leur équilibre retrouvé, de leur efficacité à distance, de leur sentiment d’autonomie.
Mais aussi d’un malaise grandissant :
“On se sent jugés dès qu’on n’est pas physiquement présents. Comme si notre travail ne valait que lorsqu’on est au bureau.”
Les associés, eux, ont exprimé leur peur.
“Avant, on formait une équipe. On pouvait échanger, sentir l’énergie du cabinet. Maintenant, on ne voit plus personne. On perd l’âme du collectif.”
Quant à la DRH, elle oscillait entre deux loyautés : celle envers les collaborateurs et celle envers les associés.
“Je passe mon temps à éteindre des incendies émotionnels. Et je n’ai plus de pompiers…”
Ces entretiens ont révélé un élément fondamental : la distance n’avait rien détruit.
Ce qui avait disparu, c’était la clarté.
Les attentes n’étaient plus dites. Les repères collectifs n’étaient plus posés.
Chacun interprétait le comportement de l’autre à travers le prisme de sa propre peur :
les associés voyaient du désengagement,
les collaborateurs percevaient du contrôle.
Lors de la séance plénière, j’ai posé le cadre :
pas de recherche de coupables,
pas de justification,
uniquement une exploration : « qu’est-ce qui vous manque pour que la coopération fonctionne à distance ? »
L’ambiance, d’abord tendue, a peu à peu changé.
Les associés ont reconnu leur attachement au collectif, à la transmission, à la culture maison.
Les collaborateurs ont dit leur besoin d’autonomie, mais aussi leur envie de garder un lien vivant avec le cabinet.
Et la DRH a pu, pour la première fois, formuler sa propre émotion :
“J’ai eu peur de perdre notre identité. Mais aujourd’hui, je comprends que c’est une évolution, pas une trahison.”
Ce moment a marqué un tournant.
Le conflit a quitté le registre du reproche pour entrer dans celui du sens partagé. Le point de bascule de cette médiation venait de s’opérer…
L’outil utilisé dans cette médiation : l’effet tiers
Dans cette médiation, l’outil clé n’a pas été un modèle de communication, ni un schéma de personnalité.
C’est l’effet tiers lui-même.
L’effet tiers, c’est ce phénomène simple et puissant : la présence d’un tiers neutre change la dynamique d’un système.
Pourquoi ?
Parce qu’elle permet de décoller le conflit du plan personnel.
Tant qu’un associé parle à un collaborateur, ou une DRH à un associé, la discussion reste piégée dans les rapports hiérarchiques, les rancunes, les postures.
Mais quand un tiers entre dans la pièce, les règles changent.
La parole se rééquilibre. Les émotions se régulent. Les tensions s’énoncent autrement.
Le médiateur devient un miroir régulateur, un espace tampon qui autorise à dire sans détruire.
Dans ce dossier, l’effet tiers a joué dès la première séance.
Le simple fait que les collaborateurs puissent s’adresser à une figure extérieure a désamorcé une partie de la colère.
Ils n’étaient plus dans la défense, mais dans l’expression.
Les associés, de leur côté, ont pu entendre sans se sentir remis en cause.
Ce que la DRH a résumé ainsi, à la fin :
“Vous n’avez pas dit grand-chose. Mais votre présence a tout changé.”
C’est exactement ça, l’effet tiers : une présence qui apaise, non pas par ce qu’elle dit, mais par ce qu’elle permet.
Les enseignements de cette médiation
Cette médiation illustre une vérité simple : le conflit naît souvent de ce qui n’est pas dit.
Et plus le lien hiérarchique est fort, plus la parole est rare.
Trois enseignements majeurs en ressortent :
La distance n’est pas le problème.
Ce n’est pas le télétravail ou la dispersion géographique qui fragilise un collectif, mais le flou dans les règles et les attentes.
Quand le cadre est clair, la distance devient une opportunité, pas une menace.
L’effet tiers est un catalyseur de clarté.
En réintroduisant une figure neutre, on redonne à chacun la possibilité d’être entendu, sans être jugé.
C’est cette neutralité qui rétablit la confiance, pas la recherche d’un compromis.
Les DRH ne sont pas des pompiers émotionnels.
Leur rôle n’est pas de porter seuls les tensions, mais de savoir quand et comment s’entourer.
Appeler un médiateur, ce n’est pas un signe de faiblesse, c’est un signe de lucidité.
Après deux séances collectives, le cabinet a décidé d’établir une charte interne précisant les règles de collaboration à distance :
présence minimale sur site,
temps collectif obligatoire,
et espaces de dialogue réguliers animés par la DRH.
Résultat ?
Les tensions se sont apaisées, la communication s’est fluidifiée, et le sentiment d’appartenance s’est renforcé.
Si je devais conclure…
Ce conflit n’était pas un désaccord professionnel.
C’était une crise identitaire.
Une peur partagée : celle de voir disparaître ce qui faisait la force du collectif.
La médiation n’a pas changé les règles du métier.
Elle a changé la manière de les vivre.
Elle a permis à chacun de comprendre que la loyauté ne se mesure pas en heures de présence, mais en engagement réel.
Et elle a rappelé une évidence : parfois, il suffit d’un tiers pour remettre du sens là où la tension a tout brouillé.
L’effet tiers, c’est ce moment suspendu où la parole redevient possible, où les émotions cessent d’être des obstacles, et où, enfin, on retrouve l’envie de travailler ensemble.
Si vous êtes confronté(e) à un conflit, ne laissez pas la tension s’installer.
👉 Je vous propose d’en parler ensemble, en toute confidentialité. Prenez rendez-vous.
Cet article est l’épisode #45 de la newsletter “Parlons conflit” diffusée gratuitement par email à ses abonnés tous les dimanches à midi. Chaque semaine, retrouvez Sébastien Robineau pour décrypter un conflit et découvrir comment en sortir. Pour recevoir le prochain numéro, abonnez-vous ici : abonnement
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