Quand la médiation sauve une vente immobilière
19 octobre 2025 | Écrit par Sébastien Robineau | Temps de lecture : 10 minutes
Sommaire
Un conflit, une médiation
Le frein à la médiation : parler ne sert à rien !
Le déroulement de la médiation : de l’individuel au collectif
L’outil utilisé dans cette médiation : l’écoute active
Les enseignement de cette médiation
Conclusion
Un conflit, une médiation
« L’acheteuse ne veut plus signer… ».
C’est avec ces quelques mots que m’a appelé un notaire, un lundi matin, la voix nerveuse, le ton pressé.
La promesse de vente avait été signée depuis plusieurs semaines. Le délai de rétractation était expiré. Tout était prêt : le financement, les documents, les relevés cadastraux. Il ne restait plus qu’à signer l’acte définitif.
Et soudain, tout s’est figé.
L’acheteuse ne voulait plus signer.
Pour elle, tout était terminé. Son mari venait d’apprendre qu’il était atteint d’un cancer. Elle n’avait plus ni l’énergie, ni la tête à un projet immobilier. Elle pensait avoir perdu ses 10 % d’indemnité d’immobilisation et, au fond, s’en moquait presque : « Il y a plus grave dans la vie, non ? ».
En face, le vendeur vivait la situation comme une trahison. Il avait refusé une offre plus avantageuse quelques jours auparavant, sur la base de la promesse signée. Pire, il devait réinvestir immédiatement dans une nouvelle résidence principale. Et il avait, lui aussi, versé une indemnité d’immobilisationà un autre vendeur. Le moindre report, la moindre annulation pouvait faire s’effondrer toute sa chaîne d’achat.
Le notaire, quant à lui, voyait ses émoluments disparaître, son planning bousculé et la confiance des deux clients s’évaporer.
Un simple contrat, plusieurs vies suspendues.
Un conflit où chacun estimait avoir une bonne raison, voire raison, où la règle juridique semblait pourtant claire, mais où le droit n’était pas le sujet. Il y avait urgence à dénouer ce différend, pour éviter qu’en cascade, le vendeur ne se retrouve bloqué entre son acheteuse et son vendeur…
Le frein à la médiation : parler ne sert à rien !
Lorsque le notaire m’a contacté, il n’y croyait qu’à moitié.
« Elle ne veut plus parler à personne. Elle m’a dit : “De toute façon, ça ne changera rien.” »
Ce refus, je le connais bien. C’est un classique de la médiation : la croyance que parler aggrave le conflit.
Cette idée est profondément ancrée, surtout quand les émotions sont à vif.
Pour beaucoup, « parler » évoque le risque d’être jugé, bousculé ou, pire, d’être mis face à ses contradictions. Dans l’esprit de l’acheteuse, la parole était synonyme d’exposition. Et s’exposer, c’était revivre la honte d’abandonner un projet, la peur d’être perçue comme déloyale.
J’ai donc pris le temps de lui expliquer que la médiation n’est pas une discussion libre, ni un règlement de comptes.
C’est un espace encadré, confidentiel, sécurisé, où l’on parle non pas pour convaincre, mais pour comprendre.
Je lui ai dit :
« Vous n’aurez pas à vous défendre. Vous n’aurez même pas à convaincre. Mon rôle, c’est de faire en sorte que vous soyez entendue sans être interrompue. »
Cette simple phrase a suffi à créer une ouverture. Elle a accepté un premier entretien.
C’était tout ce qu’il fallait pour enclencher le processus.
Le déroulement de la médiation : de l’individuel au collectif
Comme toujours, j’ai commencé par les entretiens individuels.
Ils sont essentiels : c’est là que la confiance se construit.
J’avais choisi de rencontrer en premier l’acheteuse. Habituellement, je laisse le choix à chacun. QUi passe en premier, qui me rencontre en dernier, peu m’importe. Pas dans ce dossier.
L’acheteuse s’est connectée à l’entretien que j’avais programmé avec Zoom. Elle m’est apparue fatiguée, les traits tirés, la voix basse.
Elle a d’abord répété les faits, mécaniquement. Gênée. Puis, progressivement, les émotions ont surgi.
Elle m’a parlé de son mari, de la peur du lendemain, du sentiment de devoir choisir entre sa famille et sa parole donnée.
Ses mots étaient simples :
« Je ne veux pas trahir, mais je n’en ai plus la force. »
À cet instant, je n’étais plus face à une « partie » (pour moi, il n’y a pas de « partie » à une médiation, mais des « participants »), mais face à une personne en désarroi.
Ce basculement, c’est la clé de toute médiation : quitter la logique du dossier pour retrouver l’humain.
Le vendeur, quant à lui, est arrivé tendu à cet entretien en visioconférence.
Il m’a offert un mélange de colère et de méfiance :
« J’espère que vous ne comptez pas me faire culpabiliser. »
Il se sentait floué. Injustement puni de sa loyauté.
Et puis, au fil de l’entretien, la colère a laissé place à la peur. Peur de tout perdre, peur que la vente échoue, peur de devoir se battre.
Sous la colère, il y avait une angoisse très simple : celle de ne plus avoir le contrôle.
Lors de la séance plénière, je les ai réunis dans le respect du cadre habituel :
rappel des règles : confidentialité, écoute mutuelle, liberté de parole ;
engagement à ne pas interrompre ;
validation de ma neutralité et de mon rôle de facilitateur.
L’atmosphère était tendue, au début. Les regards fuyants, les mains crispées.
Alors, j’ai pris le temps.
J’ai reformulé.
J’ai donné à chacun la possibilité d’être entendu, vraiment entendu.
Et quelque chose s’est produit.
L’acheteuse a dit :
« Je n’ai jamais voulu vous nuire. J’étais juste dépassée. »
Le vendeur lui a répondu, presque gêné :
« Je ne savais pas. J’aurais juste voulu qu’on me parle. »
Cette phrase, anodine en apparence, a tout changé.
La communication, rompue depuis quelques jours, venait de reprendre.
L’outil utilisé dans cette médiation : l’écoute active
J’ai fondé tout le processus sur l’écoute active, l’un des piliers de la médiation.
On la confond souvent avec une écoute « gentille ». En réalité, c’est une écoute exigeante.
Écouter activement, c’est :
suspendre son jugement ;
reformuler avec précision ;
nommer les émotions qu’on perçoit ;
laisser l’autre vérifier si on l’a bien compris.
C’est un acte d’humilité.
Pendant la séance, j’ai fait ce que j’appelle « le miroir neutre » : je reformule sans rien ajouter, ni retirer.
« Vous avez peur de ne pas tenir vos engagements, et cela vous fait honte. »
« Vous avez l’impression d’avoir été trahi, et cela vous met en colère. »
Ces reformulations simples ont permis aux émotions de circuler.
Elles ont déplacé la discussion du terrain juridique vers le terrain humain.
Elles ont rendu possible une forme de reconnaissance mutuelle.
L’écoute active a aussi un effet très concret : elle apaise.
Elle fait redescendre le niveau d’adrénaline. Elle ouvre des perspectives.
Et c’est précisément dans ce climat apaisé qu’un accord a pu émerger.
L’acheteuse a accepté de signer à la date prévue.
Le vendeur a retrouvé son calme.
Le notaire a pu finaliser l’acte.
Mais surtout, une dynamique nouvelle s’est installée : celle d’un respect réciproque.
Quelques jours plus tard, j’ai appris que l’acheteuse avait contacté l’acquéreur que le vendeur avait refusé. Ensemble, ils avaient trouvé un arrangement pour une revente à moyen terme.
Une situation initialement bloquée venait de se transformer en solution créative.
Deux jours.
Pas de juge. Pas d’assignation.
Juste une médiation.
Et un peu d’écoute.
L’issue de cette médiation : la signature de la vente
Cette affaire est exemplaire pour plusieurs raisons.
Premièrement, elle montre que la plupart des conflits naissent d’un écart entre le droit et la réalité émotionnelle.
Le contrat dit une chose ; la vie en dit une autre.
Entre les deux, il y a un espace. Et c’est précisément dans cet espace que la médiation trouve sa raison d’être.
Deuxièmement, elle rappelle qu’un refus initial de médiation n’est pas un échec.
C’est souvent un réflexe de protection. Les gens refusent la médiation non parce qu’ils n’y croient pas, mais parce qu’ils ont peur de souffrir encore.
Le rôle du médiateur, ici, est d’accueillir cette peur et de lui donner un cadre.
Troisièmement, elle illustre la puissance de l’écoute active.
Dans un monde où tout va vite, écouter lentement est un acte révolutionnaire.
C’est la seule façon de permettre aux émotions de se dire sans envahir.
C’est aussi la condition de toute décision apaisée.
Enfin et quatrièmement, elle démontre que la médiation ne se résume pas à un compromis.
Elle crée du sens, là où il n’y en avait plus.
Elle restaure le lien, là où il s’était rompu.
Elle rend aux acteurs leur capacité d’agir.
En deux jours, cette médiation a permis :
d’éviter une double perte financière,
de préserver la réputation d’un notaire,
et de redonner à trois personnes le sentiment d’avoir retrouvé la maîtrise de leur histoire.
Et c’est cela, le cœur de mon métier.
Les enseignements de cette médiation
Que retenir de cette expérience ?
Les conflits naissent souvent d’interprétations, pas d’intentions. Avant de juger, clarifiez ce que l’autre a voulu dire.
Le doute sur le médiateur est naturel. Exiger des garanties de compétence est légitime. Un médiateur crédible doit inspirer confiance.
Les émotions ne sont pas des faiblesses. Elles révèlent les besoins non satisfaits : reconnaissance, sécurité, autonomie.
Le conflit peut renforcer l’équipe. Bien géré, il restaure la confiance et stimule l’innovation.
La prévention passe par la clarté. Un feedback régulier, une reconnaissance explicite et des espaces de parole évitent les interprétations toxiques.
Si je devais conclure…
Ce conflit n’était pas un échec managérial, mais un signal. Il a révélé la difficulté de concilier transformation et reconnaissance, hiérarchie et autonomie.
Grâce à la médiation et à l’analyse transactionnelle, Sophie et Lucas ont découvert qu’un conflit bien accompagné n’abîme pas la relation. Il la renouvelle.
En entreprise, le leadership ne se mesure pas à la capacité d’éviter les tensions, mais à celle de les traverser sans détruire la confiance.
Si vous êtes confronté(e) à un conflit, ne laissez pas la tension s’installer.
👉 Je vous propose d’en parler ensemble, en toute confidentialité. Prenez rendez-vous.
Cet article est l’épisode #43 de la newsletter “Parlons conflit” diffusée gratuitement par email à ses abonnés tous les dimanches à midi. Chaque semaine, retrouvez Sébastien Robineau pour décrypter un conflit et découvrir comment en sortir. Pour recevoir le prochain numéro, abonnez-vous ici : abonnement
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