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Faire face à un conflit lié à des primes

28 septembre 2025 | Écrit par Sébastien Robineau | Temps de lecture : 10 minutes

Sommaire

  1. Un conflit, une médiation

  2. Le frein à la médiation : le coût de la médiation

  3. Le déroulement de la médiation : de l’individuel au collectif

  4. L’outil utilisé dans cette médiation : le process communication model

  5. Les enseignement de cette médiation

  6. Conclusion


Un conflit, une médiation

Dans une entreprise industrielle de 60 salariés, spécialisée dans la fabrication de pièces mécaniques, la situation semblait sous contrôle. Le carnet de commandes était bien rempli, et l’entreprise avait résisté à la crise sanitaire. Pourtant, un malaise profond traversait les ateliers.

Deux managers – Nadia, responsable de l’atelier d’usinage, et Jean, responsable de l’atelier d’assemblage – étaient en conflit ouvert depuis plusieurs mois. Leur différend s’était cristallisé autour d’une décision de la direction : accorder une prime exceptionnelle aux équipes de Jean, jugées “plus exposées” à la pression des délais.

Pour Nadia, c’était une injustice flagrante. Ses équipes travaillaient tout autant, voire davantage, et n’avaient pas bénéficié de cette reconnaissance financière. Elle avait pris la décision de contester ouvertement cette mesure lors d’une réunion de direction, provoquant la colère de Jean. Celui-ci l’accusait d’alimenter la jalousie et de miner la cohésion.

Le frein à la médiation : le coût de la médiation

Face à cette situation explosive, la DRH a proposé une médiation. Jean a accepté, souhaitant “tourner la page”. Mais Nadia s’y est d’abord opposée.

Son frein ? La croyance que la médiation est trop chère. Elle craignait que la démarche ne vienne alourdir encore les dépenses de l’entreprise, sans apporter de solution concrète.

Lors de notre premier échange, elle m’a dit :

Dépenser des milliers d’euros pour qu’on nous dise de nous entendre, je ne vois pas l’intérêt. Cet argent, qu’on le donne à mes gars plutôt qu’à un médiateur !

C’était révélateur d’une méconnaissance du rôle de la médiation. Je lui ai expliqué que la médiation coûte souvent beaucoup moins qu’un conflit non résolu : baisse de productivité, arrêts maladie, turnover, procédures judiciaires éventuelles. À titre d’exemple, je lui ai montré que les absences répétées liées aux tensions lui coûtaient déjà davantage que plusieurs entretiens de médiation.

Cette mise en perspective l’a convaincue d’accepter d’entrer dans le processus.

Le déroulement de la médiation : de l’individuel au collectif

Lors de notre entretien, Nadia a exprimé sa colère :

On travaille dans l’ombre. Mes équipes sont celles qui assurent la qualité, mais personne ne les valorise. On les oublie toujours. Cette prime, c’est la goutte d’eau.

Derrière sa colère, j’ai identifié un besoin de reconnaissance et de justice. Ce n’était pas tant la prime elle-même qui comptait, mais le sentiment de dévalorisation.

Jean, de son côté, se sentait attaqué personnellement :

Je n’ai rien demandé, moi. La direction a décidé de récompenser mes gars, et maintenant Nadia me fait passer pour le profiteur. Ce n’est pas juste.

Son besoin était clair : préserver sa légitimité et éviter de passer pour un adversaire.

La DRH, que j’ai souhaité impliquer dans le processus, reconnaissait que la communication autour de cette prime avait été maladroite :

Nous avons voulu valoriser une équipe sans mesurer l’impact sur les autres. Nous pensions bien faire.

Elle avait besoin de restaurer la confiance collective et d’éviter que le conflit ne se généralise.

L’outil utilisé dans cette médiation : le TKI

Lors de la première séance commune, le climat était tendu. Nadia a pris la parole d’un ton ferme :

Ce n’est pas une question de jalousie. C’est une question de respect. Mes équipes ne valent pas moins que les tiennes.

Jean a répondu :

Je comprends ta colère, mais tu me mets en accusation pour une décision que je n’ai pas prise.

Chacun parlait de son point de vue, sans réellement écouter l’autre. J’ai donc proposé un exercice simple : que chacun exprime ce qu’il avait ressenti, et que l’autre reformule sans juger.

  • Nadia a pris la parole en premier :

Quand j’ai appris la prime, j’ai ressenti de l’injustice. J’ai eu l’impression que mes équipes étaient invisibles.

  • Jean a reformulé ainsi :

Tu as eu l’impression que ta contribution était minimisée.

  • Jean a ensuite exprimé ce qu’il a ressenti :

Quand tu as contesté publiquement la prime, je me suis senti humilié.

  • Nadia a reformulé de la manière suivante :

Tu as eu le sentiment que je t’attaquais personnellement.

Ce jeu de miroir a permis de réduire la tension.

Pour aller plus loin, j’ai introduit l’outil TKI (Thomas-Kilmann Conflict Mode Instrument). Il identifie cinq modes de gestion des conflits :

  1. Compétition : imposer sa solution.

  2. Évitement : fuir le problème.

  3. Accommodation : céder pour préserver la relation.

  4. Compromis : trouver une solution partagée mais partielle.

  5. Collaboration : rechercher une solution gagnant-gagnant.

En travaillant sur ces modes, Nadia et Jean ont reconnu leur tendance naturelle :

  • Nadia adoptait souvent une posture de compétition, en défendant frontalement ses intérêts.

  • Jean avait plutôt tendance à éviter, préférant laisser passer les tensions plutôt que de les affronter.

Ces postures alimentaient le conflit : plus Nadia attaquait, plus Jean se repliait, et plus elle redoublait d’intensité.

Nous avons travaillé à déplacer leur interaction vers la collaboration : chercher ensemble une solution qui respecte les besoins des deux parties.

Lors de la deuxième réunion plénière, nous avons exploré les options concrètes en présence de la DRH. Plusieurs pistes ont émergé :

  • Mettre en place un système de primes transparentes basé sur des critères objectifs (qualité, délais, sécurité).

  • Créer un comité mixte avec des représentants des deux ateliers pour évaluer la répartition des récompenses.

  • Valoriser régulièrement les réussites de chaque équipe lors des réunions mensuelles.

Nadia a reconnu que ses équipes n’avaient pas besoin “d’être mieux payées que les autres”, mais de se sentir reconnues. Jean a admis qu’il pouvait contribuer à cette reconnaissance en valorisant publiquement les efforts de l’atelier d’usinage.

L’issue de cette médiation : des accords concrets

À la fin du processus, Nadia et Jean se sont accordés sur un plan d’action :

  1. Un barème clair pour les primes, défini conjointement avec la DRH.

  2. Une communication transparente à chaque attribution de prime.

  3. Un rituel de reconnaissance : chaque responsable met en avant une réussite de l’autre atelier en réunion.

Le conflit, loin de s’éteindre brutalement, a servi de levier pour rééquilibrer la reconnaissance et instaurer des règles claires.

Les enseignements de cette médiation

Que retenir de cette expérience ?

  1. Les conflits financiers ne concernent pas que l’argent. Ils révèlent souvent un besoin de reconnaissance et de justice.

  2. La médiation coûte moins cher que le conflit. Absences, démotivation, perte de productivité coûtent bien plus qu’une démarche de dialogue.

  3. Nos modes de gestion du conflit alimentent les tensions. Identifier si l’on est compétitif, évitant ou accommodant aide à changer de posture.

  4. La collaboration est le mode le plus exigeant, mais le plus durable. Elle demande du temps et de l’écoute, mais elle permet de transformer le conflit en ressource.

  5. Des règles simples peuvent pacifier. Transparence, équité et reconnaissance régulière suffisent souvent à prévenir de nouvelles crises.

Si je devais conclure…

Ce conflit n’était pas une simple querelle de primes. C’était une blessure de reconnaissance. Grâce à la médiation et au TKI, Nadia et Jean ont transformé un affrontement destructeur en une coopération plus équilibrée.

Leur histoire illustre une vérité simple : dans l’entreprise, l’argent est rarement la cause profonde. C’est le symbole de la valeur qu’on accorde aux personnes.

En apprenant à clarifier les règles, à reconnaître chacun et à coopérer, le conflit est devenu l’occasion de construire un collectif plus solide.

Si vous êtes confronté(e) à un conflit professionnel, ne laissez pas la tension s’installer.

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Cet article est l’épisode #41 de la newsletter “Parlons conflit” diffusée gratuitement par email à ses abonnés tous les dimanches à midi. Chaque semaine, retrouvez Sébastien Robineau pour décrypter un conflit professionnel et découvrir comment en sortir. Pour recevoir le prochain numéro, abonnez-vous ici : abonnement  

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