Médiation autour d’un pacte d’associés
31 août 2025 | Écrit par Sébastien Robineau | Temps de lecture : 10 minutes
Sommaire
Un conflit, une médiation
Le frein à la médiation : la peur de perdre la face
Le déroulement de la médiation : de l’individuel au collectif
L’outil utilisé dans cette médiation : l’Appreciative Inquiry
Les enseignement de cette médiation
Conclusion
Un conflit, une médiation
Paul et Karim se connaissent depuis plus de dix ans. Ils se sont rencontrés à l’université, ont partagé des nuits blanches à plancher sur leurs partiels et ils ont toujours rêvé de monter un projet ensemble. En 2017, ils se sont finalement lancés. Ils ont créé une société de conseil en communication, portée par une énergie commune et une confiance mutuelle.
Au moment de la création, comme souvent, l’enthousiasme l’emportait sur la prudence. On signe vite un pacte d’associés, sans forcément mesurer chaque virgule, persuadés que “nous, on n’aura jamais de problème”. Ce pacte, rédigé sans l’assistance d’un avocat spécialisé (cette précision a tout son sens…), contenait pourtant une clause décisive, consacrée au “partage de la valeur”…
Et c’est précisément cette clause qui est venue fissurer la relation.
Pour Paul, homme de chiffres à ses heures perdues, la répartition devait être calculée sur le résultat net, une fois toutes les charges déduites. Pour Karim, plus orienté vers le développement commercial, l’esprit de la clause était clair : il fallait prendre le chiffre d’affaires comme référence.
Deux lectures, deux visions. L’une plus prudente, l’autre plus ambitieuse. Mais surtout, deux manières de percevoir la valeur du travail de chacun.
Le désaccord est d’abord resté feutré. Chacun campait sur sa position en se disant “on verra plus tard”. Mais au fil du temps, les tensions ont grandi. Karim accusait Paul de “bloquer” leur rémunération en alourdissant volontairement certaines charges. Paul, lui, soupçonnait Karim de vouloir “tirer un peu trop la couverture” à lui.
Petit à petit, la confiance s’est effritée. Les réunions de travail sont devenues glaciales. Les mails plus secs, plus rares aussi. Les non-dits s’accumulaient, jusqu’au jour où Karim a lâché, lors d’un déjeuner : “Si tu continues comme ça, je mets mes parts en vente.”
La phrase a claqué comme une gifle. Et leur projet commun a semblé vaciller.
Nous étions face à un conflit institutionnel, né d’une interprétation différente d’un contrat. Mais comme souvent, le juridique n’était qu’un prétexte. En profondeur, il s’agissait d’un conflit relationnel, où se mêlaient reconnaissance, confiance et identité professionnelle.
Le frein à la médiation : la peur de perdre la face
Quand leur expert-comptable, inquiet de la situation, leur a suggéré de faire appel à un médiateur, Paul s’est cabré.
“Pas question ! Je ne vais pas aller raconter nos histoires à un étranger. Ça donnerait raison à Karim. Et je ne veux pas passer pour le faible.”
Ce refus est très fréquent et l’explication, à première vue, est la peur de perdre la face. Beaucoup associent encore la médiation à un aveu de faiblesse, comme si accepter un tiers signifiait reconnaître qu’on n’a pas su gérer soi-même.
Pour Paul, c’était aussi une question d’ego. Lui, l’homme des chiffres, rigoureux, structuré, ne voulait pas admettre qu’une simple clause de contrat puisse lui échapper. Il voulait “avoir raison”.
Ce blocage aurait pu être fatal au processus. Mais Karim, déterminé à sauver leur collaboration, a insisté en ces termes :
“Je préfère qu’on en parle avec quelqu’un de neutre plutôt que d’aller au tribunal. Là-bas, ce sera public, ce sera long, et ce sera la fin de notre amitié.”
Après plusieurs semaines de crispation, Paul a fini par accepter mon intervention.
Le déroulement de la médiation : de l’individuel au collectif
Comme toujours, j’ai commencé par des entretiens individuels.
Karim a été le premier. Il m’a parlé avec passion de leur aventure entrepreneuriale. Sa voix s’est brisée lorsqu’il a évoqué la possibilité de vendre ses parts. “J’ai l’impression de trahir un frère”, m’a-t-il confié. Ce qu’il attendait, au fond, c’était une reconnaissance de son rôle de développeur, celui qui ramenait les clients, faisait grandir l’entreprise.
Puis j’ai rencontré Paul. Plus réservé, plus factuel. Mais derrière son discours rationnel se cachait une grande fatigue. Il se sentait incompris, parfois même méprisé. “J’ai l’impression que Karim croit que je ralentis exprès. Mais si je ne sécurise pas les comptes, on coule tous les deux”, a-t-il lâché, presque en colère.
Ces entretiens ont permis de faire émerger les émotions enfouies : la peur de l’injustice, le besoin de reconnaissance, la crainte de perdre une amitié de longue date.
Lors de la première rencontre commune, l’atmosphère était tendue. Chacun s’était promis de “rester calme”, mais les reproches ont vite fusé.
Karim a lâché une phrase du genre “Tu bloques les primes en mettant des charges partout.”, et Paul lui a jeté au visage, d’un ton cinglant, “Tu veux t’enrichir sur le dos de l’entreprise.”. Classique, mais ça partait mal…
J’ai dû intervenir pour rappeler le cadre : respect mutuel et écoute active.
Puis je leur ai posé une question simple :
“Qu’est-ce qui est le plus important pour vous aujourd’hui : avoir raison sur l’interprétation du pacte, ou préserver votre relation et votre entreprise ?”
Un silence a suivi. Long. Inconfortable. Mais dans ce silence, quelque chose s’est ouvert.
Paul a préféré clôturer cette réunion plénière en acceptant de nous retrouver tous les trois dès que possible.
La deuxième rencontre a été plus constructive. J’ai invité chacun à raconter un souvenir positif de leur aventure commune. Karim a évoqué leur premier gros contrat décroché ensemble. Paul a parlé de la fierté qu’il avait ressentie en voyant leur logo sur la devanture de leurs bureaux.
Petit à petit, le climat a changé. On ne parlait plus seulement de chiffres, mais aussi de ce qui les liait : leur amitié, leur projet, leur vision commune.
L’outil utilisé dans cette médiation : l’Appreciative Inquiry
Pour avancer, j’ai choisi de travailler avec l’Appreciative Inquiry. Pourquoi ? Parce que cet outil repose sur une idée simple mais puissante : plutôt que de chercher ce qui ne va pas, partons de ce qui fonctionne bien. L’Appreciative Inquiry repose sur 4 étapes :
Étape 1 : Discovery
Nous avons identifié ensemble les réussites de leur partenariat : leur complémentarité, leur capacité à traverser la crise sanitaire, leur réputation grandissante.
Étape 2 : Dream
Je leur ai demandé : “Imaginez que nous soyons dans cinq ans, et que votre entreprise soit florissante. Qu’est-ce qui a rendu cela possible ?”. Karim a parlé d’une équipe soudée et d’une communication transparente. Paul a ajouté : “Un système clair et juste pour gérer les bénéfices.”
Étape 3 : Design
À partir de ces visions, nous avons co-construit un nouveau mode de calcul, simple et partagé. Un avenant au pacte a été rédigé, validé par les deux.
Étape 4 : Destiny
Enfin, ils ont établi un plan de suivi : réunions trimestrielles pour ajuster la répartition et surtout un engagement mutuel à exprimer leurs ressentis avant que les tensions ne s’enveniment.
L’issue de cette médiation : une relation apaisée et clarifiée
À la fin de la médiation, Paul et Karim ont accepté ma suggestion de faire intervenir un avocat habitué à rédiger des pactes d’associés (après 20 ans de barreau, j’ai toujours quelques noms à recommander !) et ils ont signé un avenant à leur pacte d’associés.
Mais surtout, ils ont retrouvé quelque chose qu’ils croyaient perdu : la confiance. Et ils ont compris que leur conflit n’était pas qu’une question d’argent, mais une question de reconnaissance. Karim voulait que son rôle de “chasseur de clients” soit valorisé. Paul voulait que son rôle de “gardien des finances” soit respecté.
Aujourd’hui, leur société continue de se développer. Ils en rient même parfois : “On s’est presque séparés pour quelques mots”, plaisante Karim. Mais ils savent que cette médiation a été un tournant. Sans elle, leur entreprise ne serait peut-être plus là.
Les enseignements de cette médiation
Cette histoire illustre plusieurs leçons clés pour toute personne confrontée à un conflit lié à un contrat :
Les textes ne disent pas tout. Même les clauses les plus précises laissent place à l’interprétation. Le conflit ne naît pas du contrat en lui-même, mais de la manière dont chacun le lit, en fonction de ses besoins, de ses valeurs et de ses émotions.
La médiation n’est pas une faiblesse. C’est un acte de courage. Accepter un tiers, ce n’est pas perdre la face, c’est choisir de préserver ce qui compte : une relation, une entreprise, un projet commun.
Les émotions sont au cœur du conflit. Derrière les chiffres et les règles, il y a toujours des besoins humains : reconnaissance, confiance, sécurité. Tant qu’ils ne sont pas exprimés, le conflit s’envenime.
Les outils positifs changent la donne. L’Appreciative Inquiry, en mettant en avant les forces et les réussites, permet de dépasser les reproches pour construire des solutions concrètes et durables.
Mieux vaut prévenir que guérir. Si Paul et Karim avaient pris le temps, dès la signature de leur pacte, d’échanger sur le sens de chaque clause, ils auraient évité bien des tensions. Mais il n’est jamais trop tard pour remettre les choses à plat.
Si je devais conclure…
Un contrat mal rédigé ou mal compris peut suffire à briser une association ou une collaboration. Mais ce n’est pas une fatalité. La médiation offre un espace sécurisé pour dépasser l’interprétation stricte des textes et retrouver ce qui compte vraiment : la relation humaine.
Comme le disait un ancien client :
“Le contrat dit comment on partage l’argent. La médiation dit comment on continue à travailler ensemble.”
Et c’est peut-être là la vraie clé : un conflit n’est pas la fin d’une histoire, mais l’occasion de la réécrire.
Si vous êtes confronté(e) à un conflit professionnel, ne laissez pas la tension s’installer.
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Cet article est l’épisode #37 de la newsletter “Parlons conflit” diffusée gratuitement par email à ses abonnés tous les dimanches à midi. Chaque semaine, retrouvez Sébastien Robineau pour décrypter un conflit professionnel et découvrir comment en sortir. Pour recevoir le prochain numéro, abonnez-vous ici : abonnement
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